Opinion - La littérature gay existe-t-elle ?
A cette question est récurrente dans l'histoire de Cylibris. Nous nous proposons donc d'y répondre, une bonne fois pour toute.
Certains pourraient penser que la littérature gay se définit par des thèmes récurrents, propres à une communauté. Nous pouvons d'ailleurs accréditer ce fait : parmi tous les manuscrits que nous recevons, les questions de l'identité sexuelle, de l'éclosion du désir homosexuel et de son refoulement comme de sa libération sont sans conteste les plus exploitées. Ceci dit, les livres que nous décidons finalement de publier ne se limitent jamais à cela (ceux qui s'y limitent sont d'ailleurs bien ennuyeux). Car nous publions des romans, et qu'un roman doit aller au-delà. Il doit raconter, décrire et nous emporter. Les questions à elles-seules ne font pas voyager.
Quoi de commun dans les thèmes abordés par le livre baroque de François Harray, le Corsaire, qui nous plonge dans le manque, la perte, l'initiation, le voyage et la paternité, et dans l'écheveau policier de Philippe Cassand dans le Cheval Bleu se promène sur l'horizon, deux fois... puisant aux sources de la vie de province, des intrigues, de l'hypocrisie bourgeoise et de la folie douce ?
A vrai dire, aucun. Et pourtant...
Nous doutons de l'existence de thèmes structurant une communauté qui à son tour produirait une littérature, car la littérature nous paraît plus vaste que n'importe quelle communauté (à vrai dire, nous doutons même de l'existence d'une quelconque communauté).
Notre avis est qu'il existe une littérature gay, de la même manière qu'il existe une littérature policière. Le propre du roman policier étant, en général, de mettre en scène un ou plusieurs policiers, nous ne serons donc pas surpris de constater que le propre de la littérature gay est de mettre en scène, en général, un ou plusieurs gays ; et si nous ajoutons "en général", c'est que nous ne désesperons pas de recevoir un jour, qui sait, un roman gay qui réussisse cette prouesse de ne mettre en scène aucun personnage gay. Si un tel roman existait, nous serions en effet les premiers à vouloir le publier.
Ce trésor pittoresque pour l'heure enfoui sous la matière grise d'un auteur inconnu, voici donc le point commun, notre fil, la finesse de notre tamis : des personnages gays. C'est suffisamment fin pour que le grain soit homogène et que se constitue, modestement, une collection de littérature gay cohérente ; mais c'est aussi la clé de notre diversité : entre nos mailles se faufilent ainsi toutes sortes de pépites, du détective privé style Drag-Queen de Cherry-Darling aux étudiants déstructurés de Crues, des fantômes de Jameson Currier aux fantasmes exotiques d'un certain José.
Bonne lecture à tous,
Benjamin